73 - Le Coq Rouge
Par Jacques Favier le samedi, novembre 30 2019, 21:03 - Actualités de Sérifontaine - Lien permanent
Au début de la nuit du dernier jour de novembre 2019, une partie de l'usine que l'on avait cru pouvoir conserver pour garder un peu de la mémoire de notre Commune est partie en fumée.
C'étaient les anciens « bâtiments d'entretien » de ce que les anciens, mais aussi les internautes sur Facebook, continuent d'appeler « Tréfimétaux ». Ils abritaient depuis peu un atelier de réparation de voitures anciennes monté par M. Jérôme Denis. Une cagnotte en ligne permet de l'aider et de lui manifester notre solidarité. Ce matin les carcasses calcinées semblaient frappées d'une sourde malédiction du lieu, et cela m'a serré le coeur.
Bien sûr, ce n'est pas Notre-Dame de Paris. Ce n'était pas un joyau de l'art, ce n'était pas un monument connu très au-delà de chez nous. Il n'était pas fait pour défier le temps.
Des pompiers de Gisors, Lachapelle-aux-Pots, Gournay, Beauvais, Bresles, Estrées, Méru et Pont-Sainte-Maxence ont uni leurs efforts jusque vers minuit pour circonscrire l'incendie au seul bâtiment de 2000 m2. Ils ont fait voler un drone de surveillance opérationnel, destiné à localiser les foyers et à suivre l’évolution de l’incendie, ce qui a permis de prendre ce cliché impressionnant.
Vers midi, dimanche, les flammes n'étaient pas toutes éteintes.
L'incendie, qui nous prive d'un petit morceau de mémoire, revient hélas toujours dans l'histoire. Fait de guerre, tombé du ciel sous forme de foudre ou de bombe, né de l'accident, de la sottise ou de la méchanceté, il est toujours présent, aujourd'hui comme aux premiers temps de l'Histoire.
Le 27 septembre 1198, c'est par l'incendie que Richard Coeur-de-Lion détruisit notre château datant du temps de Louis VI et dont nul ne sait plus rien, pas même son emplacement exact, peut-être dans le parc Jacques Duclos.
Dans les premiers jours, sans doute, du mois d'avril 1419, c'est par l'incendie que Lyonnet de Bournonville et Daviot de Gouy, capitaines à la solde du maréchal Jean de Villiers, sire de l’Isle Adam, du parti bourguignon alors en lutte contre les Anglais détruisirent entièrement Sérifontaine où campaient quelques 200 ou 300 anglais et irlandais.
Mais il n'y a pas que la guerre : durant tout l'Ancien Régime, le redoutable « Coq Rouge » comme on le nommait jadis semait la terreur. Souvent à la suite d’un chantage, ou du fait de pauvres errants, les incendies frappaient l’opinion ; leurs auteurs étaient punis par des tortures extrêmement sévères avant d’être brûlés à Chaumont ou à Beauvais.
Quand le général d’Arlincourt installa son moulin, la majorité des toits étaient encore en chaume, malgré une lente progression de la tuile. Les intendants de l’Ancien Régime avaient bien tenté de faire disparaître ces toits de chaume à cause des risques d’incendie mais ils se heurtaient à une farouche opposition des paysans qui voyaient, dans ce procédé de couverture, un débouché pour la paille de seigle. Le mur de brique et le toit de tuiles ou d'ardoises remplaçant le torchis et le chaume marquèrent un progrès sensible contre l'incendie « accidentel ».
Une partie de notre passé avait, au fil du temps, été confié au Musée de Beauvais. Divers objets, l'Hermaphrodite du prince de Conti ou les souvenirs préhistoriques légués par Victor Patte et tant de souvenirs de notre pays déposés avec la mémoire du Beauvaisis, disparurent lors des incendies de juin 40.
Plus près de nous, c'est dans la nuit du 8 au 9 juin 1940 qu'un gigantesque incendie illumina le ciel de Gisors. Un avion allemand isolé avait largué 2 bombes. Le bilan fut terrible : une trentaine de mort, 213 immeubles complètements détruits, 173 endommagés, l'église incendiée, l'ancien couvent des carmélites (siège de l'hôtel de ville) anéanti, le théâtre disparu ainsi que la crèche et l’annexe de l'hôpital.
La fragilité de nos patrimoines doit impérativement, aujourd'hui, nous renvoyer à notre propre fragilité, sur une planète sans doute exténuée. Il est heureux que l'incendie ait été circonscrit par nos pompiers et qu'il ait épargné le Musée de Fredo tout proche comme le château des d'Arlincourt pas si éloigné. Mais rien n'est garanti pour l'éternité.
Au matin, de nombreux sérifontainois étaient sur place. L'usine ne sera pas plus morte demain qu'hier pour eux. « Je travaillais ici » ou « mon père travaillait dans ce bâtiment », voilà ce que l'on entendait.
Je suis heureux qu'une partie de notre mémoire, numérisée et conservée dans l'Internet, soit ici à la disposition de tous. Je signale particulièrement ce que j'ai pu numériser : des anciennes photos de l'usine, de la vie à l'usine, quelques films ainsi que plusieurs billets consacrés à nos défuntes industries.
Commentaires
C'est une mince sauvegarde sous forme de documents écrits et de photos mais elle existe heureusement pour l'histoire de notre commune. MERCI
Bonjour M. FAVIER
Votre plume, toujours si habile, distille avec richesse le patrimoine de notre commune et de notre région. Que dire de plus ! continuer ... Dommage que votre richesse culturelle ne soit pas plus partagé sur les réseaux sociaux ...
Cancre suis-je en orthographe ;-) c'est toujours un plaisir de vous lire et aussi d'apprendre ! Bien Cordialement,
Rodolphe BOURDET