82 - Ma maison, du temps des Faburel et des Dagincourt
Par Jacques Favier le samedi, février 20 2021, 12:00 - Identité de Sérifontaine - Lien permanent
Après tant d’années, il m’est venu l’idée de reconstituer l’histoire de ma propre maison, située dans la face externe du tournant de la rue de Cocagne, sur la « grimpette » donnant l’accès vers la rue Parmentier, d'où la voient bien, dans l'axe de la rue, ceux qui entrent dans Sérifontaine en venant du Coudray.
Ce n'était pas que je lui suspectasse quelque particularité (sinon d’être l’une de celles qui abritent des « parisiens ») ni qu’elle ait pu appartenir depuis sa construction à des gens notables. Tout au contraire, la modestie de la maison et de celle de son destin en faisaient, pensais-je, un assez bon exemple. Une occasion de plus de fouiller dans le passé de gens normalement condamnés à l’oubli, même si deux d’entre eux ont leurs noms gravés sur notre monument aux morts...
Cette recherche m’a tout de même ménagé quelques belles surprises.
De quand date notre maison ?
« Vers 1900 » m’avait-on dit quand je l’ai achetée. J’inclinais à penser que c’était plutôt dans la seconde partie du 19ème siècle, en supposant plus ou moins que cette maison, comme d’autres autour du château, aurait pu être construite avec des pierres et des briques de réemploi après la destruction partielle, en 1862 dudit château dont on trouve de-ci de-là des pierres de réemploi dans le quartier. Mais je me trompais.
La première façon de procéder est de regarder les murs et les matériaux de construction.
Si ma maison possède une caractéristique rare, c’est celle d’être construite avec des briques relativement anciennes (qu’elles aient été acquises pour la construction ou bien récupérées ailleurs…) et dont le format ne se retrouve pas partout : 22 cm de long, 11 de large, et – chose visible à l’œil nu – 4 cm d’épaisseur alors que l’épaisseur de loin la plus fréquente à Sérifontaine est de 5 cm.
Je n’ai, pour l’instant, trouvé des briques de mêmes dimensions que sur des murs plus anciens que ce que j’imaginais comme période de construction de ma maison : sur le bâtiment de la ferme du Château (en entrant dans le parc par la route, en contre-bas de l'aire de jeux pour enfants) mais aussi rue du Four sur un mur de l’ancien moulin et sur certaines parties du mur d’enceinte de la ferme Lamy (juste derrière l’église et l'ancienne école de filles), sur une maison de la rue Parmentier (le 19 bis) et enfin sur un mur d’un bâtiment de la ferme de Champignolles. Ce dernier bâtiment n’est pas présent sur le plan de ladite ferme, dressée en 1798.
Ces observations laissent à penser que ce modèle de brique a été en usage quelques décennies avant et quelques décennies après la Révolution. C’est à peu près le moment où l’on trouve les premières mentions de la rue de Cocagne.
Le plus ancien plan cadastral conservé, daté du 1er décembre 1831, montre très bien (malheureusement au niveau de la tâche d'encre!) ma maison et sa grange avec leurs contours actuels, et un bâtiment annexe aujourd’hui disparu. S’il montre aussi le n°13 actuel, l’autre maison située sur la grimpette, la rue de Cocagne est, en 1831, loin d’être aussi densément construite qu’aujourd’hui. En outre elle ne porte ce nom qu’à partir du tournant. De la route nationale jusqu’à ma maison, elle s’appelle alors « rue du Puits », en référence au puits dont qui existait encore devant chez moi avant la grande guerre.
Les maisons des n° 7 et 9, dont les pignons marquent le bout de mon jardin, n’étaient pas encore bâties. Du côté de la rue Parmentier, le terrain de ma maison s’étendait davantage vers le bas. Le côté pair de la rue de Cocagne était encore presqu’entièrement en cultures, c’était la « ferme Deverny ».
Les recensements conservés commencent avec celui de 1820, qui n’est qu’un simple comptage de la population (723 habitants). Celui de 1846 est le premier à numéroter non seulement les individus et les familles, mais aussi les maisons. La rue de Cocagne, première citée, ne compte en 1846 et 1851 qu’une seule maison (à l’angle de la place qui est aujourd’hui en parking) et elle s’appelle ensuite « rue du Bois Marie », dans laquelle on recense 25 maisons. On en compte 29 dans ce qui s’appelle désormais tout entier la « rue de Cocagne » en 1856, 31 en 1861 mais 28 en 1866 ou 1872, année où se perd l’usage de commencer le recensement par notre rue, qui apparait depuis lors plutôt en fin du registre. __ Au-delà de ces données chiffrées, cette source précieuse se révèle très difficilement exploitable.__ D’abord parce que les numéros de maison portés sur les recensements sont des « numéros d’ordre » dont rien n’indique ni qu’ils correspondent aux numéros dont on a fait plus tard les adresses postales. Rien n’indique non plus que les recenseurs aient alterné côté pairs et impairs. En outre, l’apparition d’une nouvelle maison entre deux plus anciennes décale normalement toute la série. Et enfin certaines maisons sont occupées par plusieurs familles (plus ou moins proches) et alors soit les recenseurs l’indiquent clairement, soit ils distinguent deux ou trois numéros d’ordre pour la même maison. Bref retracer une maison depuis aujourd’hui jusqu’à son origine à partir des recensements est chose impossible !
Il me restait donc à suivre la seule voie précise et rigoureuse : remonter les actes de vente, depuis le mien jusqu’au premier. Ce fut un peu long et plus coûteux. Mais c’est la seule façon de procéder sérieuse. Et cela m’a conduit à découvrir que ma maison, dont l’aspect n’est pas très différent de celles qui ont été construites vers la fin du 19ème siècle, notamment du fait des crépis qui sans doute lui ont été ajoutés avec le temps, était beaucoup plus ancienne que je ne le pensais.
Les « fondateurs » : les Faburel et les Dagincourt
L’histoire de ma maison commence avec des propriétaires dont les noms sont ceux de « vrais sérifontainois », implantés depuis des siècles, et qui étaient déjà sans doute des « coqs de village » au moment de la Révolution. Je pense aussi que sinon eux-mêmes, du moins des membres de leurs familles comptèrent parmi ceux qui eurent la chance de pouvoir mettre, sans doute à assez bon compte, la main sur quelques petits lopins de terre appartenant jusque-là à la paroisse ou à des abbayes.
Le 3 février 1796 (on dit alors 14 Pluviôse an 4) Pierre-Bonaventure-Martin Faburel, né à la Saint-Martin (11 novembre) de 1767, propriétaire et cultivateur à Champ-Mauger, épousait Marie Françoise Dagincourt. Sa première femme, décédée trois ans plus tôt, était sans doute une cousine de la seconde.
Il était l'aîné d’une vaste fratrie, fils d’un autre Pierre Faburel (1731-1812) qui était marchand de dentelles et propriétaire (ou laboureur) au Champ-Mauger comme son propre père Michel Faburel (né en 1684 à Sérifontaine, où il mourut en 1770 ) qui était lui-même fils d’un Michel Faburel, mort le 13 juin 1699 à Sérifontaine, mais qui était né le 27 juillet 1636 à Villiers-Saint-Barthelemy, soit à 4 lieues de là, dans le pays de Bray. Bref, un immigré, ou, pour parler comme les normands, un « horsain » !
Quant au nom de Dagincourt, il était encore plus ancien à Sérifontaine, puisqu’on l’y trouvait déjà en 1580. En ce temps-là, Henri III, le dernier des Valois, n’avait pas été poignardé et les Bourbons, déjà rois de Navarre, ne régneraient pas en France avant 9 ans encore…
Parmi les Dagincourt vivants au 18ème siècle à Sérifontaine, l’un d’entre eux, Jean-Baptiste, était boucher. Un bon métier (j'en ai dans mes propres ancêtres) pour propulser sa descendance vers le haut de la société. Il s’était marié en 1731 et, avant de mourir le 19 mars 1750, il avait eu un bon nombre d’enfants, qui pour la plupart moururent en bas âge. Mais son fis Antoine-François (1734-1791) boucher lui-même assura sa descendance : il se maria deux fois, en 1765 avec une demoiselle Baudry et en 1786 avec une demoiselle Fontaine. Il comptait clairement parmi les « coqs de village » au commencement de la Révolution et fut proclamé « procureur de la commune » en 1790.
D’autres Dagincourt étaient bourreliers, un métier qui assure également une promotion sociale, quoique plus lente que chez les bouchers. Parmi eux, toujours au 18ème siècle, on trouvait un Pierre (époux d’une demoiselle Marie-Anne Raban) mais aussi un Jacques, qui était sans doute son frère ou son cousin. Ce Jacques épousa une demoiselle Marie-Thérèse Cornelle, ou Cornel, et c'est d'eux que descendent les propriétaires de ma maison.
Le fils de Jacques Dagincourt et Marie-Thérèse Cornel s’appelait Jacques-Charles Dagincourt, né en décembre 1743 à Sérifontaine et lui aussi était bourrelier. Le 28 janvier 1765, à Marines il épousait Marie-Françoise Roussel, dont il eut une belle progéniture, dont plusieurs membres posséderont ma maison :
- Marie-Françoise Dagincourt sa fille aînée, née le 12 octobre 1766 et mariée à Pierre-Bonaventure-Martin Faburel, qui sont sans doute les premiers occupants de ma maison ;
- un autre Jacques-Charles Dagincourt né en 1767 bourrelier à La Lande-en-Son ;
- Michel-Pascal, né en juillet 1770, cultivateur à Hodeng-Hodenger, dont un fils (Louis-Michel) racheta ma maison en 1839
- Marie Christine, née en 1773 et épouse de Pierre Nicolas Fontaine ;
- Pierre-Charles Dagincourt, cultivateur à Sérifontaine, né en 1779 et qui épousa la fille d’un cultivateur et aubergiste de Chars. C’est probablement lui qui a laissé une trace dans notre histoire… en gravant son nom sur le mur de l’église !
En l’état actuel de mes connaissances, ce sont peut-être les mariés de Marines (ci-dessus leur acte de mariage) Jacques-Charles Dagincourt et son épouse Marie-Françoise qui construisirent ma maison, ou du moins qui commencèrent. Jacques-Charles mourut le 1er ventôse an 11 (20 février 1803), Marie-Françoise Roussel le suivit le 18 mars 1807. A quel moment, et par quel notaire, fut fait le partage de leurs biens entre leurs 7 héritiers, c’est malheureusement ce que je n’ai pu retrouver , et que je ne retrouverai peut-être jamais, certains registres semblant en fort mauvais état à Beauvais.
C’est en tout cas leur fille Marie-Françoise, devenue par coquetterie Angélique-Françoise Dagincourt qui, entre 1803 et 1807, recueillit la maison de la rue de Cocagne et la conserva, durant plus d’un quart de siècle. Je déduis cela du fait que la maison lui appartenait « en propre » lorsqu’elle-même fit le partage de ses biens en 1834, et non du fait « de la communauté qui a existé entre les époux Faburel aux termes de la coutume de Senlis sous l’empire de laquelle ils s’étaient mariés sans contrat » en 1796, an 4 de la République.
Il me reste à savoir si la maison, bien visible sur le plan de 1831, était déjà construite sous le règne de Napoléon. C’est possible, mais je n’en sais rien, parce que je n'ai toujours pas retrouvé les inventaires après succession de Jacques-Charles Dagincourt mort le 1er ventôse an 11 (20 février 1803) puis de sa femme, Marie-Françoise Roussel décédée le 18 mars 1807, ni de testament, ni de partage. Un tel acte existe sûrement (il y avait 7 héritiers, un notaire est forcément intervenu) mais soit il est perdu, soit il a eu lieu chez un notaire que je n'ai pas trouvé.
Bref, si ce n’est pas Jacques-Charles Dagincourt qui a construit ou fait construire ma maison avant 1803, c’est son gendre, Pierre Faburel, entre son mariage en 1796 et sa mort le 11 août 1833. Cette seconde option me paraît la plus probable. J'ignore aussi d'où la famille possédait le terrain mais je pense qu'il pourrait être un bien national (un bien confisqué à l'Église, pour parler vrai).
La plus ancienne description que j’ai de ma maison date du 11 janvier 1834.
Ce jour-là, la veuve de Pierre Faburel, fait, chez Maître Herbel notaire à Saint-Germer de Fly, partage et transfert de ses biens par parts égales entre ses quatre héritiers , moyennant une rente viagère. L’ensemble des biens attribués est important et se partage entre ce qui est :
du propre de Angélique Françoise Dagincourt (« Madame Faburel ») :
- 25,53 ares de terre de labour à Champ Mauger, lieudit chemin de la Vigne
- 25,53 ares au Bois Raban ;
- 25,53 ares à Guelancourt
- 12, 76 ares au lieudit « le Marais »
- 25,76 ares au Buquet de Courcelles
- la maison de la place du puits, décrite à l'article 6 (bas de page 2 et haut de page 3)
« Une maison est située audit Cérifontaine, place du puits rue de Cocagne, composée de trois corps de bâtiments, à savoir le premier construit en pierre à couvert de tuiles à usage de cuisine et chambre, avec cave sous ladite chambre le second couvert en chaume à usage d’écurie et charreterie, grange à étable à porcs et le troisième aussi couvert en chaume à usage d’étable à vache, fournil et poulailler. Plus une portion de terrain en nature de cour et jardin sur laquelle sont construits lesdits bâtiments , planté de quelques arbres fruitiers contenant environ vingt deux ares tenant d’un côté Alexandre Dagincourt, par une haie vive mitoyenne, d’autre côté au chemin de la ruelle par une haie vive de l’essence du fonds ».
du fait des acquêts du couple Faburel-Dagincourt :
- 48 ares en bois au Champ Mauger
- 76,6 ares en labour au même Champ Mauger
- 76,6 ares en terre de labour sur le Chemin du Coudray
- 38,3 en terre de labour au lieudit la Grosse Haie
- 76,6 ares au lieu-dit Grand et Petit Clos, planté d’arbres fruitiers
- 42 ares en terre de labour au même endroit
- 22,4 ares en bois au même endroit
- 1 ha 2ares et 4 ca en labour au lieu-dit la Bulthor
- 38,30 ares d’arbres fruitiers au lieu-dit le vieux Plant
- 11,76 ares de terre de labour au lieudit la grande mare
- plusieurs corps de bâtiments au Champ Mauger`
- etc etc
Je ne sais qui occupa ma maison, avant comme après le partage de 1834. Le 9 novembre 1839, toujours devant Maître Herbel notaire à Saint-Germer de Fly, les 4 héritiers Faburel ensemble vendirent le terrain et la maison. La vente se fit par adjudication au meilleur enchérisseur, une pratique qui semble avoir permis certains arrangements familiaux.
« Cette maison est située audit Cérifontaine, place du puits rue de Cocagne, composée de trois corps de bâtiments, à savoir le premier construit en pierre à couvert de tuiles à usage de cuisine et chambre, avec cave sous ladite chambre le second couvert en chaume à usage d’écurie et charreterie, grange à étable à porcs et le troisième aussi couvert en chaume à usage d’étable à vache, fournil et poulailler Plus une portion de terrain en nature de cour et jardin sur laquelle sont construits lesdits bâtiments, planté de quelques arbres fruitiers contenant environ vongt deux ares tenant d’un côté Alexandre Dagincourt, par une haie vive mitoyenne, d’autre côté au chemin de la ruelle par une haie vive de l’essence du fonds ».
L’adjudication est remportée par à Louis-Michel Dagincourt, neveu de la défunte. Ce nouveau propriétaire de ma maison était né le 13 ventôse an 8, soit le 4 mars 1800. Il est décédé en 1859. Il était le premier des 4 fils de Michel-Pascal Dagincourt, né le18 juillet 1770, cultivateur décédé à Sérifontaine le 23 avril 1836, époux de Marie Catherine Demeurant.
Le 18 juillet 1840, il épousait Aimable Petit, une « servante » de 38 ans, native du canton de Songeons. Je ne sais s’ils vécurent ensemble rue de Cocagne durant les 10 années suivantes, avant qu’ils ne cèdent ma maison, et qu’elle entre pour plus d’un siècle dans l’histoire d’une autre famille, les Tellier.
Ces Tellier, qui apparaissent déjà sur le recensement de 1846 dans la maison numérotée 21 - mais j'ai dit combien il fallait se méfier des numéros de recensement - étaient probablement locataires de la maison de la "place du puits" avant de s'en rendre acquéreurs.
(à suivre)