74 - Notre Champollion

patte.jpg, mar. 2020Avec près d’un siècle de retard sur l’homme qui déchiffra la pierre de Rosette, Sérifontaine a eu son Champollion : Victor Patte.

Celui-ci est surtout le grand historien de Gisors où il finit juge de paix. Mais sa famille était aussi implantée à Sérifontaine (comme le rappelle le calvaire de Bourguerelle). En 1896 il présenta, comme de simples notes historiques sur Gisors, un ouvrage de 580 pages qui ressemble parfois à un long guide touristique coupé de digressions, de longs récits ou causeries historiques et archéologiques. Il avait aussi entrepris une Histoire de Sérifontaine dont ce qui ne devait sans doute être que le début fut publié en 1912 dans le Bulletin de la Société archéologique de l’Oise, tome VIII où elle occupe les pages 133 à 180.

En novembre 1902, M. Foubert, fermier de Champignolles, avait découvert un « tombeau gaulois » qu’il avait exhumé en 1903 avec l’aide de M. Bénard, banquier à Gournay et archéologue du dimanche. Celui-ci avait constaté des « petites écorchures très fines paraissant avoir été faites par un instrument tranchant ».

Au Congrès Préhistorique de 1906, un certain docteur Théodore Baudon, archéologue et ancien député, alla un peu plus loin et parla de pétroglyphes :

« Ils sont caractérisés par des doubles lignes parallèles formant crochet à l’une de leurs extrémités. Une des lignes inférieures est tangente à un cercle d’un diamètre de 0m07 environ, entaillé d’un centimètre, qui a quelque analogie avec les cupules. Que signifient ces signes, nous l’ignorons. Ce n’est qu’en les signalant chaque fois qu’on les rencontre, qu’on pourra peut-être un jour déchiffrer leurs caractères encore énigmatiques. »

Il fallait bien que quelqu’un saute le pas, Victor Patte s’en chargea : « ces signes sont des lettres, et ces lettres forment des mots. Comment j’ai pu percer le mystère qui les entourait, ces signes ? Par le hasard qui a si bien servi, dans l’étude des hiéroglyphes, l’illustre Champollion ».

petroglyphes.jpg, mar. 2020

Oui, on a bien lu : des signes hiéroglyphiques. « Ce sont deux rangs superposés de lignes parallèles, dont l’une, brisée vers son extrémité, forme avec l’autre un angle aigu, et non un crochet, comme s’est exprimé, par inadvertance, M. Baudon. Au-dessous de ces lignes, un cercle de 0,07 environ de diamètre ».

Cela ne suffit pas pour les décoder ? Qu’à cela ne tienne, Victor Patte va élargir son corpus à d'autres trouvailles : « je possède une pierre trouvée à Sérifontaine, lieudit la rue Gras, et portant des signes qu’il m’a paru du plus grand intérêt d’étudier aussi. (…) Les caractères forment une ligne de 0,07 de longueur et mesurant, sauf le premier, espèce de majuscule qui atteint le double, 0,01 de hauteur. C’est une écriture cursive dont les pleins et les déliés dénotent, de la part de son auteur, une main très exercée ».

Victor Patte cite alors longuement tous les savants qui, jusqu’à Champollion, se sont attelés à la tâche ardue de déchiffrer les écritures des anciens égyptiens. « C’est en parcourant les ouvrages de ces savants, où j’ai puisé les éléments de l’exposé qui précède, que me vint l’idée de comparer avec les caractères de l’alphabet hiéroglyphique les signes relevés sur le dolmen de Champignolles et ceux remarqués sur la pierre de Sérifontaine. grammaire.jpg, mar. 2020Quand je découvris, entre les uns et les autres, une ressemblance parfaite et indiscutable, j’en éprouvai une joie telle, que je ne puis encore, sans en ressentir les effets, me rappeler l’heureux jour où je fis cette découverte. J’allais donc pouvoir, sinon traduire en français, ce qui n’appartiendra qu’aux égyptologues, du moins lire les inscriptions, car c’en était de véritables, gravées sur ces monuments C’était encore peu, sans doute, mais promettait beaucoup si l’on envisageait les résultats auxquels pourraient conduire des études poursuivies dans cette voie ».

Il poursuit hardiment :« L’inscription du dolmen de Champignolles se compose de deux mêmes signes empruntés à l’alphabet hiéroglyphique proprement dit, et consistant, comme je l’ai dit, en parallèles terminées par un angle aigu ou coupées en biseau, disposées de haut en bas, en colonne verticale et accompagnées d’un cercle. Comme ces caractères correspondent à la lettre M de notre alphabet, cette inscription se lit MM ».

So what ? comme disent nos amis anglais.

« Le mot exprimé sur le dolmen de Champignolles est un nom propre, un nom de pays. Ce qui le prouve, c’est le cercle gravé à la suite. Les noms de pays et de villes sont annoncés, dans cette écriture, par un signe représentant, soit une chaîne de montagnes pour les premiers, soit un cercle, symbole de l’enceinte, pour les seconds ».

Le Champollion du Vexin aurait pu en rester là, avec « MM » comme inscription certainement royale de Momo 1er le Mammouth. Mais le goût de la linguistique lui vient et il entreprend de déchiffrer aussi les signes trouvées sur les pierres de sa propre collection. Les signes trouvés sur le tombeau sont des hiéroglyphes, les autres sont plus simples : les voici classés dans la catégorie du démotique.

« Quant à l’inscription de la pierre de Sérifontaine, dont les caractères appartiennent à l’écriture démotique, elle se compose de trois signes qui, contrairement à ceux de Champignolles, se lisent dans le sens horizontal. Le premier correspond à notre K, et les deux suivants, qui se ressemblent, ont la valeur de nos lettres RL. Cette inscription se lit donc KKLRL. Sa signification c’est, comme pour celle de Champignolles, à ceux qui ont étudié les langues indo-européennes ou aryennes, qu’il faut la demander ».

On se demande un peu pourquoi après avoir étalé son érudition en matière de lange chamito-sémitique, Monsieur Patte en revient à la considération que nos ancêtres néolithiques auraient parlé une langue indo-européenne. L’important n’est pas là. Il sera devant l’histoire le Champollion du Vexin !

De si considérables découvertes n’attirèrent malheureusement pas sur Sérifontaine d’autres génies des langues. La grande guerre sans doute occupa davantage les esprits. Pour reprendre l’enquête il faudrait d’abord retrouver les objets de fouille. Que sont-ils devenus ?

musée de beauvais.jpg, mar. 2020

Victor Patte avait bel et bien prévu la poursuite des recherches : « La ville de Beauvais, au musée de laquelle je me propose de léguer ma modeste collection d’objets préhistoriques, dont fait partie la pierre gravée de Sérifontaine, pourra se flatter de posséder une ligne de l’écriture la plus ancienne de notre pays et des plus vieilles du monde ».

Il y a quelques mois, la ville bretonne de Plougastel-Daoulas a réussi une opération de communication assez réussie avec un texte qui avait le mérite d'être en breton et non en pétroglyphes, et qui a donc pu être élucidé.

Mais la collection du Musée de Beauvais étant partie en poussière sous les bombes allemandes en 1940, il nous faudra trouver autre chose pour attirer l'attention, et ni le lecteur de ce blog ni l'auteur de ces lignes ne sauront jamais, sauf éclair de génie dans un ciel d'ennui, qui était MM ni ce que lui ou l'un de ses loyaux sujets voulait dire par KKLRL…

Commentaires

1. Le lundi, mars 30 2020, 15:23 par Jean-Michel GUILLOT

Bonjour Monsieur Favier.

Alors...un article intéressant … mais pour faire court, il faut se méfier de certaines "élucubrations" émises par quelques Préhistoriens en fin du 19ème ou début 20è siècle, pourtant plus que probablement de bonne fois, du moins je l'espère ...après, faire des erreurs n'est pas une particularité dont est ou sera exempt notre 21è siècle, sans doute.
Concernant la pierre découverte à Sérifontaine au lieu dit "Rue gras", en l'absence de l'artefact détruit lors de la Seconde Guerre mondiale il restera impossible d'en savoir plus, mais je reste dubitatif.
Il n'est qu'à voir combien l'affaire du site de Glozel (lien en bas de mon commentaire) a fait couler beaucoup d'encre, intervenir bon nombre de "scientifiques" "savants" et probablement doux rêveurs pour comprendre que l'interprétation approximative et (ou) rapide à partir de quatre lignes et un cercle tracés sur un bloc doit être prise avec la plus extrême prudence.
La sépulture Néolithique de Champignolles, d'après ce que je connais de l'histoire de sa découverte, avait été en partie dégradée par (ça nous ignorons qui, forcément) une ou des personnes ayant eu besoin de récupérer des éléments constitutifs de celle-ci...donc prudence concernant ces "signes" qui peuvent très bien avoir été gravés sans but réel précis à une époque "récente"...
Mais attention, je peux me tromper...je n'ai pas la science infuse … mais encore une fois, prudence quant à l'interprétation rapide d'une ligne ou deux gravées sur un monument, quel qu'il soit…

https://www.lemonde.fr/culture/arti...

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Merci cher Monsieur de ce commentaire. Bien sûr ce sont des élucubrations, et j'ai donné cela ici pour distraire mes lecteurs. Bien des propos "scientifiques" ne sont que des élucubrations. Cela ne doit pas inciter à se méfier de la science, mais au moins à exercer son sens critique. Et peut-être à tout soumettre à l'épreuve impitoyable du passage du temps ! Un réflexe d'historien?  JF

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