77 - Coratte, père et fils
Par Jacques Favier le mercredi, avril 8 2020, 08:38 - Curiosités, érudition - Lien permanent
Voici un homme bien élégant, qui fut maire de Sérifontaine peu d'années mais dans des circonstances difficiles, et dont le portrait a déjà été présenté dans mon billet 75.
Le hasard d'une rencontre en ligne, sur un sujet tragique, m'avait aussi donné l'occasion de semer un petit indice, car Monsieur Coratte, comme la malheureuse famille Quoilin, venait des Ardennes, auxquelles la CFM liait décidément notre destin.
Pierre-Fernand Coratte, était né le 8 avril 1857 à Mercy dans le département de l'Allier, dans le petit hameau des Branles.
Il était le premier né de Claude-Henry Coratte (1825-1895), un cultivateur sans doute fort aisé du Breuil dans le département de l'Allier, et de Rose-Jenie Serret (1831-1895), une fille d'huissier de justice de l'Yonne.
Ingénieur des Arts et Métiers (Châlons, promotion 1873) il avait démarré sa carrière comme dessinateur dans diverses Sociétés. Lui aussi épousa en janvier 1889, à Véron dans l'Yonne une icaunaise, Blanche Marguerite Athénaïse Moreau, que l'on appelait Marguerite.Il était alors ingénieur à l'usine de Fromelennes, dans le canton de Givet. Il passa ensuite trois ans comme chef de fabrication à l’usine à cuivre de Romilly-sur-Andelle dans l'Eure, avant d'arriver en 1893 à Sérifontaine.
C'est à Romilly que naquit en août 1891 son fils aîné Robert-Fernand, dont je vais parler ensuite. Un deuxième fils, Jean-Henry-Frédéric naquit en octobre 1892 à Rogny-les-Sept-Ecluses, dans l'Yonne, où il décéda quelques jours plus tard chez sa nourrice.
Enfin un troisième fils, prénommé Jean-Ernest-René, naquit également dans l'Yonne, en juillet 1894. Fernand et Blanche devaient aussi perdre ce dernier enfant, mort pour la France le 19 mars 1915, à l'âge de 20 ans aux Éparges dans la Meuse. Son nom est inscrit sur notre monument aux morts. En voici une photographie dont j'ignore si elle a pu être prise à Sérifontaine, vu la présence de bananiers...
En 1893, Fernand Coratte a été nommé sous-directeur de l’usine Saint-Victor. Il en devient directeur en 1900, succédant à cette autre figure marquante de l'histoire de saint-Victor, Amaury du Mesnil, qui avait été en charge de 1885 à 1894.
L'usine, intégrée depuis le 21 janvier 1892 au sein de la Compagnie Française des Métaux dont le président est M. Vésier, se remettait du krach de 1889 et de la liquidation de la Société Française des Métaux de Secrétan, d'autant que même au moment de l'effondrement boursier, les usines étaient restées en pleine activité. Elle allait connaître, à l'approche de la guerre un nouvel âge, sinon d'or, du moins de cuivre et de laiton !
Voici la description qu'en donnait, en 1908, Louis Passy dans son article sur L’industrie dans le canton de Gisors :
L’usine de Saint-Victor est une des cinq grandes usines de la Compagnie française des métaux. La réputation de ses produits est universelle ; grâce aux travaux d’agrandissements exécutés pendant ces dernières années sous la haute direction du président du Conseil d’administration, M. Vésier, elle s’est placée, par son puissant outillage et sa facilité de production, au premier rang des usines à laiton.
En 1896, il habite au 3 cite Saint-Victor, avec Marguerite, leurs deux fils de 4 et 1 ans, et sa mère Jenie Coratte, âgée de 64 ans.
On voit ici, apparemment photographié dans son Yonne natale (à Rogny-les-Sept-Écluses ?) cette femme qui a peut-être introduit chez nous le prénom de Jenie que des ouvriers de l'usine, les Dheilly, donneront à une petite Jenny Micheline Angèle, l'étrange résistante dont j'ai raconté ailleurs l'histoire. Qui sait ?
En 1901, l'aîné doit être pensionnaire à Beauvais, et Jenie a cédé la place à une domestique de 22 ans, Alfreda Leuilly. Cinq ans plus tard Pierre-Fernand, Marguerite et Jean ont déménagé au 56 du quartier Saint-Victor, avec une nouvelle domestique, Julienne Deslandes. En 1911, Fernand Coratte habitait la Maison du Directeur, devenu le 58 du quartier Saint Victor, avec son épouse, son fils aîné Robert-Fernand et Blanche Deslandes, sans doute la soeur de la précédente, comme nouvelle domestique. C'est au tour de Jean-Ernest d'être en pensionnat à Beauvais.
Comme l'avait fait Aury du Mesnil avant lui, Fernand Coratte s’impliqua profondément. Au sein de l'usine il constitua la première société de secours mutuel, ce qui lui valut bien plus tard (en 1932) la médaille de bronze de la Prévoyance sociale. Mais il faut aussi actif dans la vie de la cité. Il se fit élire au Conseil Municipal lors des élections de 1908 qui voient Louis-Anatole Brossard accéder à la Mairie après Jean Boyer, pour un éphémère mandat que la mort interrompt en février 1909, en gare de Neuf-Marché. Coratte devient premier adjoint du nouveau Maire, Georges Kriegelstein en 1911.
Quand, le 20 juillet 1916 Monsieur Kriegelstein, qui tenait à ajouter la mention Maison Française sur le papier de sa société pour lever le doute qu’aurait pu faire naître les consonances de son nom, s’engagea volontairement, il fut remplacé en qualité de maire par Fernand Coratte.
En 1919, ce dernier ne semble pas s'être représenté. C'est un syndicaliste de son usine qui s'empare, fort jeune, de la Mairie : un certain Pierre-Eugène Boyer. Coratte a-t-il pu exercer à la fois la direction de l'usine et celle de la municipalité? A-t-il cédé la "Maison du Directeur" ? En 1921 il habite avec son épouse et une (nouvelle) domestique, Laure Pruvost, au 4 rue Sainte-Paule, dans une maison un peu en retrait de la route et abritée par la végétation, en face de l'usine aujourd'hui détruite
Cet homme que nous voyons sur les photographies comme un homme élégant était peut-être un homme assez simple. Son seul fils survivant, Robert-Fernand, qui vivait à Sérifontaine en 1918, épousa cette année-là une parisienne, Louise Clémentine Veniat, la fille d'un sertisseur et d'une repasseuse. Le mariage fut célébré dans le 14ème arrondissement de Paris, l'époux étant " ingénieur civil , actuellement sergent aviateur", en présence et avec le consentement de ses parents.
Ce fils a peut-être laissé autant de souvenir que son pèr. D'abord comme aviateur, en un temps où c'est encore héroïque. Il travaille avec Marcel Hanriot sur des avions militaires et subit comme élève aviateur, en janvier 1912, un accident d'avion près de l'aérodrome de Bétheny, avec une chute de 40 mètres suite à l'arrêt de son moteur. On le retrouve néanmoins sergent-aviateur lors de son mariage en 1918.
Il en a hérité aussi la passion de l'industrie. En 1923, il crée la Maison Coratte, une tréfilerie à Montreuil et en 1937 il est le Président-fondateur de l'Office Technique des Tréfilés à Vincennes, qui va prospérer jusqu'à sa mort en 1969.
Quant à Pierre-Fernand, après avoir géré l'immédiat après-guerre de son usine, il quitte Sérifontaine en 1921. Kriegelstein, qui comme lui était retourné diriger le piano, en fera autant l'année suivante.
Deux fois grand-père, Fernand Coratte prend sa retraite dans l'Yonne. La dernière photo que j'ai trouvée de lui le représente, toujours élégant, avec Marguerite, et les jeunes Monique et Jacques.
En 1938 notre ancien maire décède chez lui, à Montereau-Fault-Yonne au 13 Rue des Fossés, à l'âge de 80 ans.