31 - Du côté des enfants, des pauvres et des orphelins
Par Jacques Favier le dimanche, avril 13 2014, 18:28 - Identité de Sérifontaine - Lien permanent
Un caractère émouvant de l’histoire de Sérifontaine est d'avoir servi de lieu d’accueil à des centaines de petits orphelins que créaient la guerre et la misère, mais aussi à leur mères. Il ne laisse plus guère de traces, sauf dans les souvenirs d’une petite poignée de nos anciens, qui avouent encore avoir été des « enfants de la Générale » et dans quelques cartes postales anciennes où l’on voit, notamment devant l’hôtel de la Grâce de Dieu, une ribambelle d’enfants assez grossièrement habillés.
Autour de ce blog, les souvenirs se tissent et des petits bouts de passé revivent. Ainsi dois-je remercier très sincèrement Monsieur Allard, porte drapeau des Anciens Combattants de notre Commune, de m’avoir fait parvenir la photographie qui m’a donné l’envie de rédiger ce billet.
La grande guerre fut pour beaucoup dans la vocation de Sérifontaine. Dès 1917 en effet, ce sont les Maisons Claires qui s’y installent. Les Maisons Claires sont une Œuvre parisienne fondée en 1917 pour abriter les enfants pauvres des soldats de France dans des demeures mises à dispositions par des dames du monde et de belles âmes : à Sérifontaine, une Madame Grosselin dont à ce jour je n’ai pas retrouvé la trace, ouvre ainsi sa ferme que (malgré plusieurs limiers!) je n’ai pas davantage identifiée : Mme Grosselin, une cousine, une amie, a bien voulu transformer une des fermes de la belle propriété qu'elle habite, à l'usage de nos filles. Elle y a installé un dortoir. Merci à tous ceux qui pourraient m'aider...
Dans un Bulletin de cette Œuvre daté d’août 1917, on trouve ce message de l’infirmière de Sérifontaine : Notre installation ici est parfaite et rien absolument ne manque à ces chères enfants. Hier dimanche, parties de la ferme à dix heures, nous sommes allées entendre la messe à Coudray. Nous sommes revenues déjeuner à la ferme et le temps superbe nous a permis une très longue promenade. Aujourd'hui, nous avons passé après-midi dans un champ et avons cueilli des petits pois, vingt kilogrammes au moins. Demain, grande fête à la ferme, on tue un cochon... Et mercredi, du bon boudin.
si quelqu'un reconnait la maison, qu'il me l'écrive!
Après guerre, une autre œuvre allait contribuer à la vocation spécifique de Sérifontaine en la matière, et cette œuvre devrait beaucoup à Jeanne Boyer, la fille du maire Jean Boyer. Présidente par ailleurs de l'Œuvre des Mères et des Enfants de Guerre, de l’Entraide sociale de la Maternité, et de l’Appui maternel, elle s’investit aussi localement à Sérifontaine où son mari, le Général Pallu, et elle-même possédaient le vieux château et où elle crée ce qui va rester dans la mémoire locale comme le Petit Foyer.
En 1922 et 1923, la « Générale Pallu » crée à Sérifontaine ce que l’Administration qui n’a pas encore les délicatesses de langage de notre temps appelle un centre d’élevage pour les nourrissons du département de l’Oise, une Goutte de Lait, un dépôt des enfants assistés, un dispensaire et une consultation pour nourrissons. L’année 1924 verra la Maison maternelle de l’Oise au bénéfice des femmes avant l’accouchement et des mères nourrices.
On retrouve un historique de son action initiale dans un discours qu'elle prononce en 1933 au 20ème congrès de l’Alliance d’Hygiène Sociale, tenu à Beauvais : La pouponnière fut d'abord installée dans une maison sise à Sérifontaine et qui, bien que modeste, avec ses quelques pièces, bénéficiait d'une situation avantageuse à la campagne et était entourée d'un jardin. Elle devait être remplacée, en 1931, dans la même commune, par une construction plus importante pourvue de dortoirs, de salles d'isolement, d'une biberonnerie, d'une salle de consultation et de pesée et disposant d'une vaste pelouse pour les enfants.
De quelle maison s'agit-il ? Probablement, pour la première, de la "maison jaune", ainsi nommée pour ses volets longtemps revêtus de cette couleur voyante.
Ensuite, c'est dans l'ensemble des bâtiments formant aujourd'hui le côté nord du parking sur la rue Pierre-Eugène Boyer, lieu connu sous le nom de Grâce de Dieu, qui furent investis, s'il faut en croire le récit qu'en faisait il y a déjà un quart de siècle un Sérifontainoise très bien informée, Geneviève Tournade.
La Légion d’Honneur était venue, dès juillet 1925, récompenser le zèle de Jeanne Boyer, zèle que stimulait probablement déjà une ambition sociale intense et qui, au moment de la guerre, devait basculer politiquement de la manière la plus fâcheuse.
J'en viens au document remis par Monsieur Allard. C'est la première fois qu'il m'est donné de trouver un souvenir aussi émouvant du "Petit Foyer". En voici d'abord le revers:
Celle qui adresse cette carte en 1931 à son frère s'appelle Raymonde Delacourt. Elle est née le 19 juin 1910 à Sérifontaine. Son Père, Felix Amédée (ou Aimé, selon les registres!) Isidore Delacourt était né en 1873 à Espaubourg mais avait longtemps véu à Sérifontaine avant de quitter notre commune pour aller mourir en Seine et Marne, en 1931. Son propre père, Pierre Félix Delacourt était décédé en 1901, en Nouvelle Calédonie, après avoir longtemps vécu dans le pays de Bray.
La mère de Raymonde s'appelait Marie Léa Leclerc (rien n'indique qu'elle ait été mariée à Felix Delacourt) et elle était également décédé avant 1932. Orpheline de père et de mère, Raymonde fut donc mise au Petit Foyer, ni comme enfant, ni comme mère célibataire.
Sur la photo, elle a ainsi 21 ans, et elle se tient première à gauche, avec d'autres jeunes filles sans doute employées comme aides.
On compte plus de trente enfants, âgés de deux à trois ans, et un nourrisson dans les bras d'une aide. A cette date il ne saurait évidemment s'agir d'orphelins de la grande guerre. Ce sont bien des enfants de la misère. nés vers 1928. Certains sont peut-être encore de ce monde. On note que tous les enfants sont pareillement chaussés (des chaussures qui paraissent presque neuves sur la photo) et que l'on a revêtu les plus jeunes comme les adultes du même tissu à fins carreaux qui servait dans les "Maisons Claires" quinze ans plus tôt. Au centre, l'infirmière possède un visage aux traits réguliers, quand les jeunes femmes autour d'elles ont toutes les traits du visage marqués par des séquelles de maladie ou des stigmates de misère.
Raymonde Delacourt ne resta sans doute pas longtemps au "Petit Foyer". Le 19 novembre 1932, elle épousait René Allard, né en 1908 à Saint-Pierre-ès-champs, et maçon de son état. L'acte de mariage précise que Raymonde était ouvrière d'usine. Sa famille avait dû être dispersée, car Raymonde avait un frère qui, en 1934 écrivit à la mairie de Saint Aubin en Bray pour demander des renseignements sur sa famille. Sans doute avait-il perdu la trace des siens dans ce village. Le maire lui répondit, apparemment après avoir fait des recherches, lui donnant les indications sur le décès de son père, et sur un oncle et deux tantes, avant de lui suggérer de s'adresser à la Mairie de Sérifontaine.
Revenons au Petit Foyer. La photo prise en 1931 est une belle photo très "posée". Elle ne donne pas forcément d'indication sur la vie quotidienne.
Une photo plus "intime" m'a été donnée par le fils d'une femme qui avait travaillé également pour les Œuvres de la Générale Pallu, mais à Trie-Château, dont les époux Pallu avait acquis le château (actuelle mairie) et où un établissement comparable à celui de Sérifontaine avait été créé.
On remarque le même tissu (qui devait servir partout en France) et la même tenue pour l'infirmière.
L'établissement de Sérifontaine dépendait de l’Assistance Publique et assura son activité jusqu’à l’évacuation de la population en 1940. Les Œuvres de la Générale reprirent ensuite, avec aussi des foyers en région parisienne. Après la guerre, la Générale fut jugée pour des activités de collaboration auxquelles elle s'était livrée surtout à Trie et à Paris. Elle fit de la prison, dut vendre le château de Trie. Sortie de prison, elle fut de nouveau accusée, en 1951, d'être responsable de faits de maltraitance sur des enfants dans l'établissement de Rueil. Condamnée de nouveau, elle aurait été finalement exonérée.
A Sérifontaine, elle ne semble avoir laissé que le souvenir d'une bienfaitrice. L'une de mes lectrices, dont la mère faisait de petits travaux de couture pour la Générale, se reconnaîtra dans ces souvenirs datant de l'après-guerre : je me souviens bien de la Générale Pallu que nous allions visiter régulièrement lors de ses séjours. Un jour elle avait fait demander à Maman de nous amener mon frère et moi. Je revois Maman en train de tirer la sonnette. La Générale m’a offert ce jour là un petit train en bois, une autre fois elle m’a donné un Père Noël en terre avec une hotte, je l’ai toujours.
Autour du fantôme de la Générale, rarement évoquée à Sérifontaine quoique présente encore dans bien des mémoires, ce sont de nombreux destins beaucoup plus modestes que la photo si gentiment communiquée par Monsieur Allard a permis d'évoquer. Il passait beaucoup d'enfants par le "Petit Foyer". J'ai montré cette photo à notre concitoyenne Désirée Capron (née Gobert) , née en 1927. Elle ne s'y est pas reconnue, car elle avait dû y séjourner un peu avant la photo. Et pour peu de temps, avant d'être placée chez et adoptée par Marie Elise Labourot. Celle-ci lui assurait autrefois que l'on pouvait choisir un enfant au Petit Foyer, sans grande formalité.
Les historiens chevronnés comme les amateurs se perdent parfois dans d'interminables études généalogiques. L'histoire si particulière de Sérifontaine est aussi faite des enfants déracinés du Petit Foyer.
Commentaires
Emouvant, passionnant.
Merci.
Françoise Gicquel
Fontenay-Torcy
Avec l'aide de quelques-uns de mes lecteurs (et de savants calculs sur le temps de marche pour aller à la messe, de quelqu'un que je ne nommerai pas car il aurait dû être en train de travailler...) j'ai enfin identifié la ferme des "Maisons Claires" : il s'agit d'une ferme sise en lisière du Coudray, au lieudit "les Routis". Mais à ce jour je ne sais devant laquelle des différentes maisons des Routis aurait été prise la photo.
Stricto sensu, donc, elle n'est pas à Sérifontaine, et on peut se demander pourquoi sur la carte postale ou dans la correspondance de l'Œuvre ladite maison est décrite comme étant à Sérifontaine. Rappelons que les Guyot d'Arlincourt aussi considéraient le Saussart comme un château de Sérifontaine (même dans le Bottin Mondain !). Concluons donc qu'à l'époque, sans doute du fait du train, mais aussi de la propsérité de la Commune, c'était peut-être chic d'être à Sérifontaine.
Avant d'élever des petits malheureux, Madame Grosselin (née Meaux) dirigeait une société de zootechnie et élevaient des animaux de concours, présentés à l'exposition au Président de la République sur le Champ de Mars. On trouve cela par exemple dans le Petit Parisien du 20 juin 1910 qui fait le récit de l'exposition en question. Sa société qui détenait d'autres fermes avait son siège social dans un immeuble (son domicile?) orné du nom de "Beauséjour" et sis 275 rue Saint-Denis à Courbevoie.
Courbevoie, déjà...
C'est toujours avec plaisir que je me "plonge" dans l'Histoire ancienne comme récente de Sérifontaine, au travers de vos textes et recherches.
L'érudition me réconcilie avec l'Humain. Merci.
Je viens de retrouver une photographie assez comparable à celle donnée par M. Allard. On y reconnait plusieurs infirmières déjà présentes sur la photo de 1931, et toujours le même uniforme pour les enfants.
Au revers, cette nouvelle Photo-carte porte la mention "Le Petit Foyer, 10 août 1935" .
Monsieur et madame Thierry sont mes grands parents et l'une de leurs deux demoiselles est ma mère!!
La surprise de ces anciennes cartes postales...
Dominique Boucherot