19 - Trevor Hordley et son équipage
Par Jacques Favier le mardi, juin 11 2013, 23:03 - Sérifontaine en guerre - Lien permanent
C'était quelques semaines avant de remettre le manuscrit de mon livre, vers la fin 2010. J’eus le sentiment qu’y manquait une chose : une photo me permettant d’évoquer le destin des jeunes britanniques tombés devant la ferme de Champ-Mauger en juillet 1944. Si leur influence sur l’histoire de Sérifontaine est évidemment mince, ils pèsent assez lourdement sur notre mémoire. Une fois par an, on honore leur drapeau et on joue en leur honneur le God save the Queen.
Le 8 juillet 1944 à 1h44 du matin le ND 567, un des Lancaster du 207ème escadron de la RAF, parti la veille au soir là de sa base de Spilsby dans le Lincolnshire, s'est écrasé chez nous au retour d'un bombardement visant les bases de V1 de Saint-Leu d'Esserent dans l'Oise.
Malgré ce qu'en pensait l'un des survivants (Georges Baker) il ne fut pas abattu par un avion allemand mais par la DCA de Gournay. André Velu, qui habitait alors Mainneville, vit depuis sa fenêtre le tir et le début de la chute de l'avion. Deux membres de l’équipage, Georges Baker et William Brown purent sauter en parachute. Les corps des cinq autres reposent à Marissel. Leurs noms ont été, cinquante plus tard, gravés sur une petite stèle. Georges Baker qui était alors encore vivant avait fait le voyage pour son inauguration. J'avais sa photo prise en 1995.
Mais je souhaitais publier celle d’un tout jeune homme qui allait mourir pour la Liberté. Il me restait trois semaines. Une fouille presque obsessionnelle sur Internet, des courriers électroniques à tous les sites consacrés aux exploits et aux drames aériens de la WW2, aux collectionneurs maniaques des restes de crash, aux anciens combattants du 207ème escadron, à plusieurs musées et associations des deux côtés de la Manche. Je finis par reconstituer une vie: Trevor Hordley, dont le nom est le plus souvent cité (les vétérans britanniques disent the Hordley crew) était un gallois né le 15 avril 1920 à Pembroke Dock, le plus jeune de trois frères. Il s’installa à Rugby, dans les Midlands et travailla à l’usine BTH. Il s’engagea dans la RAF au début de la guerre. C’est à Rugby qu’il connut sa femme, qu’il épousa en avril 1944, et dont j'appris qu'il eut une fille posthume née en janvier 1945.
Et enfin je trouvais une indication lapidaire dans un vieux journal d’anciens combattants indiquant que cette fille se nommait Christina Bailie. Les gens nés en 1945 n'ont pas forcément une trace sur Internet : il restait le téléphone. Mais les privatisations thatcheriennes ont fait du téléphone un secteur concurrentiel... ce qui veut dire qu'il n'y a plus d'annuaire unique. J’ai fait le pari qu’elle vivait toujours à Rugby et j’ai extrait trente Bailie, ou C. Bailie des annuaires en ligne.
J’ai appelé, un midi, et j’ai expliqué à la première personne qui a décroché que je recherchais la fille de l’officier Trevor Hordley. It’s me me répondit-elle. Après tant de recherches fébriles et d’insomnies j’en restai quelques secondes sans voix, retrouvant non sans peine la suite de mon discours en anglais. Nous avons entamé une correspondance au sujet de ce père posthume dont elle était très émue de savoir que la mémoire était toujours honorée. Sa mère était décédée en 1986. Elle m'envoya une photographie originale de son père, un jeune Gallois un peu triste, qu'on ne regarde pas sans émotion.
Elle me mit aussi en contact avec la famille de Georges Baker, disparu depuis quelques années, qui me confia une copie de l’émouvant récit manuscrit qu’il laissa des péripéties qui suivirent son crash. Brown avait été fait prisonnier à Beauvais. Baker, ignorant évidemment que l'institutrice de Sérifontaine faisait partie d'un réseau, s'était enfui de nuit jusqu'à Vernon où il traversa la Seine à la nage. A Evreux un jeune français de 14 ans environ, à qui il proposait d’acheter son vélo, le livra aux Allemands. Son périple, jusqu’en Union Soviétique puis son retour jusqu’en Angleterre s’achève sans mentionner qu’il fut ensuite victime durant près d’une année de troubles psychiatriques divers, avant de reprendre du service dans son premier métier, comme policier .
Quand mon livre parut, avec le portrait de son père qu'elle m'avait donné, j'en envoyai un exemplaire à Christina Bailie. Elle m'avait écrit "je n'ai jamais connu mon père, mais il a toujours été aimé et il n'a jamais été oublié. C'est de votre part un geste magnifique d'avoir inclus mon père et son équipage dans votre livre. Je sais qu'elle le montre à ses amis avec beaucoup de fierté.
Je dus ensuite décliner une invitation des anciens du 207ème, signalant que mon intérêt restait très centré sur une petite ville de Picardie. Mais je suis resté en contact avec Christina Bailie, son fils Danny et leur famille. L'an passé je leur transmis les photos de la cérémonie du 8 juillet.
C'est ainsi que Pauline Cole, nièce de Trevor Hordley (elle est la fille de son plus jeune frère) m'a contacté à son tour: Christina était chez moi dans le Pays de Galles quand Danny lui envoya vos photos et ce serait un understatement que de dire que nous étions touchés au delà de ce que les mots peuvent exprimer : comme il est beau de savoir que la population de votre Commune se souvient ainsi d'eux, et d'une manière aussi honorable. Je pourrais pleurer en vous écrivant.
PS (après le 23 juin)
Son père et sa mère avait visité la tombe de Marissel près de 50 ans plus tôt. Cette année, son frère Peter Hordley et elle-même étaient parmi nous autour de la stèle du Champ-Mauger. Leur bref passage parmi nous a été un moment de grande émotion, pour eux, mais aussi pour les plus anciens témoins du drame (voir les journaux ci dessous). Le plus étonnant, dans la rencontre, c'est que français et gallois se sentaient chacun redevables de gratitude. C'est pour cela que la rencontre fut émouvante, et vraie.
Nos hôtes ont remis un message officiel de reconnaissance de l'Association du 207ème escadron au Maire de Sérifontaine, qui leur a assuré que leur présence était ressentie comme un honneur, et que le souvenir des braves de Spilsby resterait gravé dans l'histoire de Sérifontaine.
Ils m'ont aussi apporté un ensemble de photographies et de documents sur Trevor Hordley et sur l'ensemble de l'équipage: après l'avoir scanné j'en mets une partie en ligne et j'ai déposé l'original et une traduction à la Bibliothèque de Sérifontaine. On y trouve aussi un témoignage indirect du second survivant, William Brown, et un écho de l'incertitude affreuse où furent laissées durant des mois les familles britanniques ou canadiennes des malheureux aviateurs disparus.
De mon côté, grâce à un Sérifontainois qui m'avait fait l'honneur de m'en charger, j'ai eu la charge de leur confier une émouvante relique : un petit morceau d'aluminium provenant du Lancaster, et trouvé il y a plusieurs décennies dans le petit bois de Champ Mauger, en les priant de la remettre en notre nom à tous à Christina Bailie.
A Noël 2013, j'ai reçu la photo de Christina et de son fils Dan Bailie tenant en main la relique, emballée dans le drapeau de la Royal Air Force dans lequel je l'avais confiée à ses neveux.
Ceux qui lisent l'anglais peuvent voir le récit que la famille Hordley a fait sur le site du 207 ème escadron.
PS (en 2019!)
En juin 2019 nous avons eu la joie d'accueillir à Sérifontaine David Booth, neveu de l'aviateur Fred Booth et son fils Dean, qui avaient fait la route en moto pour venir déposer leurs hommages à Champ Mauger et à Marissel.
Grace à ce pèlerinage, nous avons pu retrouver le visage d'un des héros du ND 567 célébrés chaque année !
Commentaires
Le reportage sur le site du 207ème escadron de la RAF est très émouvant et une fois de plus je ne peux que remercier l'auteur de ce billet pour cette heureuse initiative de rencontre franco-galloise autre que sur un terrain de rugby.
N'oublions jamais que c'est l'engagement de ces jeunes aviateurs britanniques qui, les premiers, ont tenu en échec les forces aériennes du 3ème Reich, redonnant ainsi confiance à tous ceux, obscurs et sans grade, qui s'étaient levés pour combattre l'envahisseur et sa doctrine nazie. Merci à eux de nous avoir rendu notre LIBERTE.