76 - Une famille

L'histoire de Sérifontaine s'inscrit, pour moi, au-delà de ses étroites limites administratives. Reliée jadis par les liens féodaux à d'autres « paroisses » elle le fut aussi ensuite à d'autres communes, comme je vais en donner ici un témoignage poignant, par les aventures industrielles et par les guerres. Aujourd'hui, par la magie du réseau informatique mondial, ces liens réapparaissent et les souvenirs se ravivent.

Quoilin.jpg, avr. 2020Voici donc un témoignage venu des Ardennes, et qui permettra d'avoir une pensée spéciale pour des gens, la famille Quoilin, dont le nom est inscrit 4 fois sur notre monument aux morts.

Ils habitaient au 12 de la rue Sainte-Paule, et n'étaient pas installés chez nous depuis fort longtemps. Sans-doute nul ne se souvient-il plus d'eux et je pense donc qu'il est utile de fixer ici leur souvenir, tout en complétant le billet écrit il y a déjà plusieurs années sur les morts de la seonde guerre.

Daniel Higuet, qui a découvert mon site en menant ses propres recherches, est comme moi l'auteur d'un livre paru il y a quelques années sur sa commune de Givet, dans les Ardennes, chez le même éditeur. Il vient de me contacter et j'ai pu compléter les données qu'il m'a données.

Givet, c'est la « hernie » dans notre frontière avec la Belgique : sur la carte on la retrouve tout de suite. Et dans le canton de Givet, il y a, à Fromelennes, au hameau industriel de Flohimont, une usine créée avant la nôtre, dès 1806. En sursis à partir de 2011, son actionnaire, KME, avait tenté de la fermer en 2015, après la nôtre, assez tard donc pour que la « loi Florange » l'oblige à rechercher activement un repreneur. Depuis l’entrée au capital du finlandais Cupori en novembre 2016, le site tente de développer son activité, avec moins de salariés...

A Fromelennes, à travers l'histoire, on a surtout fabriqué des tubes en cuivre. Depuis la fin du 19ème siècle, les usines ont le même actionnaire, la Compagnie Française des Métaux, qui ne s'appellera Tréfimétaux qu'à partir de 1961. M. Coratte, qui fut directeur de l'usine de Sérifontaine en 1893, venait aussi de Givet.

Fromelennes 2.jpg, avr. 2020

Né en mars 1846 à Rancennes, Jean-Victor-Stanislas Higuet est l'ancêtre commun de ceux dont il va être question maintenant. Il est décédé à l'âge de 84 ans, en novembre 1930, à Rancennes, commune limitrophe de celle de l'usine. Son propre père était tailleur de pierre, lui-même, lorsqu'il se marie en 1874 est dit « journalier » et son épouse est couturière. Trente ans plus tard il est « carrier ». Ce ne sont pas encore des ouvriers. Ils eurent de nombreux enfants, au moins une dizaine, sur vingt ans environ. On ne citera ici qu'Alfred (1879-1957) et Berthe (1885-1978).

Alfred est le père d'Emile Higuet (1921-20016) et le grand-père de Daniel, l'auteur du livre sur Givet et mon « témoin ».

Berthe, Paul Joseph et Rachelle.jpg, avr. 2020Le 21 décembre 1907 à Rancennes, Berthe épouse Paul-Joseph Martinot. Elle est journalière, il est employé. Il est né en 1880, dans la commune toute voisine de Charnois, où son père était alors « ouvrier d'usine ». Lors du mariage de 1907, le père du marié est devenu cultivateur.

Paul-Joseph décède en 1931, avant le drame de la guerre.

Berthe et lui n'ont eu qu'une unique enfant, née le 20 février 1913 à Fromelesnnes, et dotée d'un prénom curieusement biblique : Rachelle-Catherine-Clémence.

rachelle et jean.jpg, avr. 2020Au début des années 30, Rachelle Martinot épouse Jean Quoilin. Il est né à Fromelennes le 1er mars 1909, fils d'un employé sans plus de précision. Lui travaille pour la CFM, à Fromelennes ; elle aussi semble-t-il.

Quelques années plus tard la CFM détache Jean à Sérifontaine, où la mort les attend tous. Peut-être Jean a-t-il eu une promotion. Au recensement de la population de Sérifontaine en 1936 (ils n'étaient pas inscrits à celui de 1931) Jean exerce la profession de « dessinateur » à l'usine.

Leur fils Michel est le 16 octobre 1933, toujours à Fromelennes, une petite Danielle nait à Sérifontaine, le 8 août 1943.

Lors d'un voyage à Paris est prise leur dernière photographie.

Jean Rachelle Michel et Danielle.jpg, avr. 2020

En cette toute fin de mai 1944, Michel doit faire sa première communion. Dès le jour de la Pentecôte (le 28 mai) Jean et Rachelle ont achevé les préparatifs pour le repas du lendemain. La grand-mère, Berthe, devait les rejoindre le lendemain.

Le bombardement du lundi de Pentecôte, le 29 mai 1944 à 21 heures, anéantit en un instant toute la famille.

Ce drame que nous célébrons à Sérifontaine en inclinant les drapeaux devant le monument qui porte le nom des Quoilin, il reste douloureux dans les Ardennes. Emile Higuet s'est occupée de Berthe jusqu'à la fin de ses jours. Et il a donné à ses enfants les noms de Michel (né en 1947), Daniel (mon témoin, né en 1948) et Thérèse-Rachelle (née en 1952).

l'horloge de Sérifontaine.jpg, avr. 2020Comme chez tant de victimes civiles, dont la mémoire est si peu célébrée en France, leur famille (comme la mienne!) a gardé une relique sacrée du bombardement. Les objets frappés par le feu du ciel ne sont-ils pas sacrés? Pour les Higuet c'est une horloge de cheminée sortie des ruines de la cité Sainte-Paule : dans le déluge de feu, elle a subi un léger aplatissement, mais elle marche toujours.

Venue de Sérifontaine, elle marque le souvenir à Givet, dans la maison de Berthe Higuet que son petit-neveu Daniel occupe aujourd'hui.

Les corps de la famille Quoilin sont retournés dans les Ardennes, ils ont été enterrés à Charnois, près de l'usine de cuivre. Leur tombe est fleurie chaque année pour la Toussaint.

Sur le registre d'état-civil de Sérifontaine, leurs noms sont inscrits sur la déclaration de décès faite le lendemain par le médecin de l'usine, avec la mention marginale, portée 4 fois quelques mois plus tard : Morts pour la France.

Commentaires

1. Le samedi, avril 11 2020, 11:37 par Jean-Michel GUILLOT

Bonjour…

J'ai peu de commentaires à faire sur ce "billet"... émouvant, bien évidemment … et passionnant (pour ce dernier terme, c'est "l'amoureux" d'Histoire qui parle.. ).

Merci encore à vous Monsieur Favier, passeur de mémoire(s).

2. Le dimanche, mai 24 2020, 20:19 par Christian Zagun

Bonjour.
Sur les noms du monument il y a Alain Feron. J’ai connu M Feron qui était bourrelier rue A. Barbier. Nous avions le garage de machine agricole rue A. Barbier. C’etais une personne super sympathique et historien de Sérifontaine. Il avait un fils, Alain, décédé très très jeune lors des bombardements de l'usine. Ce monsieur a fait partie de l'union commerciale avec mon père et il y avait M. Bain qui vit toujours et habite dans les Vosges. M. Bain était passionné de photo. Il y avait Daniel Piriou aussi, le ferrailleur. Demander à ma mère elle a des souvenirs de cette époque.

La discussion continue ailleurs

URL de rétrolien : http://blog.serifontaine.com/trackback/2046

Fil des commentaires de ce billet