39 - L'inventaire du château

Dans un guide touristique de 1857 on pouvait lire : Céréfontaine a un château splendide au dehors, mais actuellement d'une nudité déplorable à l'intérieur.

avant destruction

chateau à vendreCinq ans plus tard commençait sa destruction, ne laissant dans notre parc qu’un gros pavillon. Une part notable de notre patrimoine est donc absent, comme “en creux” au centre du bourg. Je ne peux m'empêcher de penser qu'une part du long désintérêt de Sérifontaine pour sa mémoire vient de cet évènement...

mon article dans le Bulletin MunicipalJ’ai déjà écrit sur le temps de la splendeur du château, au début du 15ème siècle. En 1650 le marquis de Flavacourt rachète le château. Au delà de ce que j’ai écrit dans le bulletin municipal, il est presqu’impossible de savoir si c’est le même : les bâtiments ont leur vie, eux aussi, et restent rarement à l’identique durant 250 ans !

En 1674, sous Louis XIV, Michel-Joseph, 4ème marquis de Flavacourt nait au château de Sérifontaine et suit sa scolarité au nouveau collège établi à Saint-Germer. Son fils François-Marie qui sera le dernier marquis nait à Paris en 1708 et suit les cours du collège de Clermont (aujourd’hui lycée Louis-le-Grand). En un long règne, les temps ont changé. Le destin d’une famille noble se trame désormais sur les champs de bataille, dans les boudoirs de Versailles et dans les salons parisiens.

Un homme d’affaire gère le domaine et vient rendre compte une fois l’an à Paris de la gestion du domaine et de la ferme (voir mon billet sur la ferme)

Quand le marquis meurt en 1763, le domaine échoit à des filles, tôt mariées, aussitôt enterrées : sa fille, la belle Adélaïde marquise d’Etampes (brillant mariage), était morte en couche dès 1759 à 17 ans laissait une petite fille, Adelaïde-Thérèse, que l’on maria (sans doute moins brillamment) en 1773 à un homme déjà veuf, le vicomte de Bourdeilles. Elle mourut en 1783, laissant château et seigneurie à Louise-Elizabeth, la “demoiselle de Bourdeilles” dont j’ai déjà évoqué le lugubre destin.

La mort de la vicomtesse de Bourdeilles en 1783, dans son hôtel parisien de la rue Saint-Dominique, ouvre la dernière succession avant la tourmente révolutionnaire. C’est à cela que nous devons une description d’un château déjà poussiéreux, et sans doute assez endormi.

page 1 de l'inventaire de 1783L’inventaire prit trois jours à Sérifontaine, les 2,3 et 5 septembre 1783. La famille avait dépêché un homme dont je reparlerai un jour, son homme d'affaires, Florent larousse. Les minutes qui sont déposées chez Maître Jean à Trie-Château remplissent 30 feuillets recto-verso et établissent la valeur totale du mobilier à 10.540 livres. J’ai déjà évoqué ce document (conservé aux Archives de l’Oise sous la cote 2E75/295) en parlant de la briqueterie qui occupe quelques lignes en page 44.

Je veux ici présenter ce qui a trait au château proprement dit (pages 1 à 43, dont on trouvera ici la transcription). Ceux qui souhaiteraient des reproductions de l'orignal peuvent m'écrire.

Le château avant sa démolition partielle au 19ème siècle était immense. On a quelque mal à se repérer dans les lieux car le document que je publie n’est pas une description d’architecte mais un inventaire de notaire. En le lisant on passe de chambre en chambre sans plan d’ensemble. Une douzaine de pièces différentes doivent être des chambres au sens où nous l’entendrions aujourd’hui. Compte tenu de la variété du vocabulaire, combien doit-on compter de couchage ? On trouve dans l’inventaire 9 lits, 6 paillasses, 12 couchettes, 15 traversins et …35 matelas, réputés souvent mauvais, certains étaient peut-être superposés, d’autres servannt de couchage à même le sol.

Il est raisonnable de penser que le château devait pouvoir loger une dizaine de personnes dans des conditions jugées confortables, autant de façon seulement décente et encore autant « à la dure ». C’est une estimation personnelle mais je retrouve le même ordre de grandeur par la vaisselle et l’argenterie. Rien n’indique si les plus mauvaises paillasses étaient occupées une fois par an par tel ou tel suiveur de la chasse du seigneur, ou si elles servaient à l’année à des garçons de ferme.

Le but du document est de lister et de valoriser le mobilier. Ce n’est pas toujours facile à suivre. On imagine le clerc écrivant à la volée donc sans grand soin, accoudé comme il peut et retranscrivant ce qu’il comprend : le velours d’Utrecht devient ainsi du velours du très… Hors problème de compréhension, les fantaisies orthographiques sont innombrables. Les lits sont à pilliers, les armoires fermées à quadenas, on trouve trois orthographes différentes pour le tissu de coutil et il faut un moment pour comprendre ce qu’est une quaucotière. Enfin cet inventaire nous donne tout un vocabulaire disparu, pour ce qui est par exemple des tissus : indienne, nankin jaïpurienne, siamoise, croisé, cannelé etc. Mais pas seulement : qui à Sérifontaine saurait encore ce qu'est une vache bayotte ?

Il y a aussi tout un vocabulaire qui étonne, c’est celui de la cheminée, de la cuisine au feu, de la bougie, pour nommer tous les petits outils disparus qui servaient au feu et à la lumière. Alors, si pour l’essentiel le vocabulaire de la cuisine se comprend encore aisément, on note toutefois les « hatiers » qui sont des landiers à crochets, sur lesquels on appuyait des broches ou on suspendait des anses de chaudron, les « landiers rigodets » qui se terminaient par des corbeilles dans lesquelles on mettait les plats, le coquemar de cuivre rouge, le binet pour brûler les bouts de chandelles…

A demeure noble, cuisine noble, avec viande et poisson. Ce dernier n’est pas acheté au chasse-marée ; il peut venir de l’Epte, du vivier ou des étangs du Bray voisin. On dispose pour le pêcher de toutes sortes d’ustensiles, louchet, verveux ou éprevier. Pour la viande, outre la basse-cour où l’on trouve quarante huit pièces de volailles, telles poulles, coques poullets, douze canards prisé ensemble la somme de vingt quatre livres, on devine la présence du gibier, même si l’inventaire ne révèle que deux fusils. Les nobles seigneurs ne les laissaient peut-être pas trop d’armes derrière eux.

extrait page 41

Si l’on excepte quelques meubles sans doute « nobles », comme dans le boudoir de la vicomtesse où l’on trouve trois banquettes à pieds dorés couvertes d’une ancienne étoffe de serge, un dessus de banquette couverte de soye le mobilier est généralement commun et l’inventaire en fait crument mention, le mot pauvre, appliqués aux tables et armoires revenant sans cesse ; pour l’essentiel les innombrables chaises (plus de soixante) sont paillées et quand elles sont tapissées c’est de fort longtemps. Une douzaine de fauteuils sont de mauvais crin et dans l’antichambre du vicomte on trouve cinq fauteuils couverts de tapisserie, deux cabriolets de même et un autre fauteuil couvert de vieux damas cramoisy.

bidet en noyer et chaise de commodité ép. Louis XV

le genre de mobilier que l'on devait trouver dans le château...

Quelque soit l’usage des lieux (pour des séjours courts ou tout à fait occasionnels), les commodités donnent un indicateur quant à l’hygiène, et au rang des personnes logées. Dans un boudoir qui devait être réservé à la vicomtesse (page 26) on trouve des éléments de confort aristocratique : un bidet de bois de noyer garni en maroquin et de sa cuvette… une baignoire de cuivre étamée dans son châssis de bois garni et caisse à roulettes, un grand vase de cuivre étamé à l’usage de ladite baignoire. On trouve dans la chambre du seigneur, une chaise de commodité garnie de son pot de fayence, un bidet garni de sa cuvette de fayence, une table de nuit de bois de noyer , un pot de chambre de fayence. Mais le vicomte de Bourdeilles est le seul à disposer de cette commodité qui s’est répandue dans la bonne société sous le règne de Louis XV. Pour le reste, bien des gens doivent parfois coucher au château sans disposer même d’un simple pisse-pot : on trouve un grand pot de fayance qui me paraît avoir cet usage dans l’autre chambre ayant vue sur le parc où l’on également trouve aussi un pot de chambre (page 17), et six autres dans diverses chambres, soit bien moins que de couchages…

C’est une maison largement décorée de restes ou de choses sans grande valeur, comme le sont bien des « demeures de familles » un peu désertées : ainsi on note dans le boudoir de la vicomtesse une grotte en coquiage servant de garniture de la cheminée, prisée comme de très peu de valeur la somme de six livres. Et de façon surprenante on découvre aussi dans les chambres vingt six tableaux de famille dont partie sous cadre très vieux n’estant d’aucune valeur, inventorisés pour mémoire.

extrait de la page 37

Il y a hélas fort à parier qu'une documentation qui serait aujourd'hui passionnante a dû finir au feu !

marque d'ArrasLes objets ayant un peu de valeur ne doivent servir que lors des passages des maîtres, soit pour leurs repas (qui ne ressemblent en rien à ceux des domestiques) soit pour leurs jeux. Pour la table on compte 84 assiettes en porcelaine d’Arras. C’est une production que l’on pourrait appeler de luxe. Les 84 assiettes sont prisées à 60 livres.En 2013 un service de 48 pièces datant de la même époque s'est vendu aux enchères pour un peu plus de 3.000 euros

Un service d'Arras

En tout cas ce n’est pas une vieillerie : la manufacture d’Arras ne date que de 1760. Le service a donc été acheté par les parents de la vicomtesse. On trouve aussi 30 petits verres à liqueur ou 22 tasses à café, ce qui donne sans doute une idée de la compagnie maximale. Même conclusion si l’on regarde l’argenterie : dix huit cuillers et dix huit fourchettes à bouche, six cuillers à ragou, une grande cuiller à potage, douze petite cuillers à caffé et deux cuillers à sucre, le tout d’argent blanc poinçon de Paris pour 1060 livres, ce qui en fait le principal luxe de la demeure.

Décidément la valeur des choses montre bien que le château de Sérifontaine était fait pour diner avec quelque luxe, dormir comme on pouvait... et repartir.

Pour les jeux, le château dispose d’un tric-trac, d’un damier et de deux jeux d’échec (à l’étage, dans la chambre du vicomte ou sa dépendance), mais aussi de deux tables à jeu pliantes et même d’un billard, valorisé à 150 livres et qui est sans doute la pièce maîtresse d’un certain art de vivre : il occupe un salon entier au premier étage, décoré de cinq morceaux de tapisserie de laine en grands personnages antiques faisant le fond (au)tour de la chambre dudit billard, prisé le tout ensemble la somme de dix huit livres.

Enfin, pour occuper l’esprit, le château offre la ressource d’une bibliothèque non négligeable : quatre cent cinquante six volumes de livres traitant de différentes matières, reliés et brochés et en partie dépareillés. Là aussi (avec une valeur d’ensemble modeste de 200 livres) on doit avoir affaire à des restes: les ouvrages de valeur restent à Paris.

A noter qu'avec l'argenterie, on conserve au château les ornements liturgiques. Sans doute ceux qui servaient pour les grandes fêtes, ou bien pour les messes en présence du seigneur et de la dame? L'occasion d'une leçon de vocabulaire, car depuis Vatican II on a un peu oublié ce que pouvaient ête deux aubes d’église de toile blanche garnies de mousseline, deux amicts, deux corpeaureaux, deux pales, six lavabo, six purificatoires et un ornement complet composé de chasuble, étole et manipule prisé le tout ensemble la somme de quarante huit livres. Des linges sacrés dont on peut encore admirer quelques exemples dans l'église de Talmontiers !

Les ornements des chambres et les objets quotidiens sont, eux, de cuivre argenté, voire de simple cuivre. Mais l’huissier compte le moindre bout de ficelle, ce qui n’est peut-être pas sans intérêt pour les historiens des métiers ou des techniques!

Les séjours du vicomte doivent avoir une certaine durée si on en juge par l’abondance des vêtements de rechange trouvés dans sa commode : vingt-sept paires de bas de fil gris, onze paires de coton blanc, trois cannesons (caleçons) de toile, trois paires de chaussons de fil, huit coiffes de nuit, cinq certeste, une paire de gands de daing.

Un dernier mot : cet inventaire donne aussi le nom de quelques sérifontainois : le jardinier Patenotte, le tonnelier Nicolas Henry et le menuisier Germain Monpetit. Puisqu’on relève le nom des nobles seigneurs, pourquoi ne pas relever le leur ? Ils ont signé l'acte tous ensemble, les voici réunis sur Internet !

signatures

Commentaires

1. Le dimanche, mars 8 2015, 10:47 par Jean-Michel GUILLOT

Merci encore une fois à Monsieur Favier de nous offrir l'accès à cet inventaire après décès du XVIIIe siècle.
Il y a hélas fort à parier qu'une documentation qui serait aujourd'hui passionnante a dû finir au feu !
Plus que probablement, et c'est une réalité en récidive lors de chaque décès, pour ne citer que ce fait. 

Les contemporains d'un événement se désintéressent et se débarrassent parfois de documents, de photos ou divers "objets" leur paraissant inintéressants ou futiles (c'est toujours d'actualité) ...."trésors" perdus pour les générations qui suivent ...enfin...pour les personnes qui s'intéressent ou se passionnent pour leur, ou le, passé.

2. Le dimanche, mars 8 2015, 11:22 par Bernard Bouffart

Comme d'habitude, beau travail de recherches qui nous permet d'imaginer au 17 ème siècle et même après quelles pouvaient être les conditions de vie ( chauffage,éclairage,sanitaires ) : bien inférieures à celles dont nous disposons de nos jours et même pour les pus modestes d'entre nous. 

 Pour avoir déjeuné quelques fois dans ce qui reste du château, il m'est arrivé de penser qu' à notre insu, nous avons peut-être croisé ces ombres du passé mais malheureusement sans pouvoir communiquer. En tout cas merci M. Favier

Je me suis déjà fait la réflexion que Louis XIV eût sans doute donné une province (la nôtre?) pour un de ces petits appareils magiques que nos enfants considèrent comme indispensables et qu'à leur âge nous aurions considérés comme l'apanage des services secrets ou de quelques milliardaires. Pour autant... les seigneurs vivaient tout de même à certains égards dans ce que nous considèrerions bien comme du luxe (argenterie) ou de l'opulence (quantités de viandes aux repas de fête). Mais l'écart essentiel c'est celui qui sépare le mode de vie des seigneurs et de leurs serviteurs. Il y a cinquante ans, le général De Gaulle vivait sans doute (prix des habits, nature de la nourriture, genre de distractions...) de façon assez similaire à son chauffeur, quelque soient les différences des capacités, des positions, des responsabilités exercées. Ce n'était pas le cas au temps des rois, ou aujourd'hui : M. Bernard Arnault vit-il comme son chauffeur?.

Juste un exemple: le prix de la montre créée par la marque Lip pour le Général et le prix des montres créées pour les "princes" d'aujourd'hui... C'est toujours difficile de mesurer, d'estimer, de comparer les modes de vie. Et c'est tout l'intérêt d'un inventaire comme celui que je publie!

3. Le samedi, novembre 28 2015, 19:06 par Jacques Favier

Je complète mon billet après être passé aux Archives de l'Eure à Evreux, pour regarder dans les notes de Louis Régnier, qui y sont conservées. Louis Régnier (Gisons, 5 février 1865, Vernon 1er novembre 1923) était un archéologue, historien, membre de plusieurs sociétés savantes. On trouve sous la cote ADE 3 F 245 diverses notes sur Sérifontaine, deux plans du château, et un amusant petit dessin. Par rapport à l'élévation de façade publiée en tête de mon billet, les deux plans de Régnier laissepenser que les tours sont en avant sur la façade sud, ce qui ne saute pas aux yeux dans le document principal.

Le petit dessin semble bien, lui aussi, concerner la façade Sud, et compléter celui que j'avais publié dans mon article, même s'il est évidemment plus sommaire. Il a toute chance d'être faux sur un point grave: la taille du château. Car on ne compte que 8 fenêtres vers le Sud, quand l'élévation de la face Nord en fait apparaître 15. 

Pour quelle raison, alors, préférer l'hypothèse d'un château à 15 fenêtres, assise sur un document dont j'ignore tout ? Parce que les guides du début du 19ème siècle parle d'un immense château, et parce que la description des lieux dans l'inventaire après décès de la vicomtesse de Bourdeilles ne colle pas dans un château qui serait à peine plus grand que l'actuel. Le croquis de Régnier est donc selon toute probabilité une simple esquisse sans prétention.


Chose plus navrante, mais qui fait écho au commentaire n°1 ci dessus... on trouve sur la même feuille de papier que ce dessin, cette petite note: 

Encore une chose, pourrait-on dire, qui a disparu. Quelqu'un a-t-il une idée de qui serait "Barbier Père"?

Plus important: quand Régnier dessine le château (vers 1913 apparemment) ce château a disparu depuis 50 ans. Il ne peut évidemment pas le dessiner de mémoire puisque lui-même est né après la démolition. Soit il invente (d'où les 8 fenêtres), soit il reconstitue d'après des notes d'un tiers? ou d'après un autre document disparu, lui aussi ? 

Enfin j'ai trouvé dans les papiers de Régnier une autre description du château, substantiellement antérieure à la description de la fin de l'Ancien Régime. J'y reviendrai prochainement. 

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