21 - En l'an 918 Sérifontaine est-elle entrée dans l'histoire comme monnaie d'échange?

Pour me faire pardonner mes escapades dans l'actualité, j'ai consacré une partie de mes vacances à remonter plus loin que d'habitude dans le passé : au temps des Vikings !

On cite souvent la charte du 14 mai 918 dont il va être question comme la première mention historique de Sérifontaine (depuis la Géographie de l'Oise par Badin en 1847 ou le Dictionnaire de Toponymie de Lambert en 1963 et jusqu'au chartiste Marcel Baudot, Inspecteur Général des Archives de France en 1983) . Ceci avec de très nombreuses conséquences, tant pour l'histoire de notre commune que pour la signification de son nom, sujet que je n'aborderai toujours pas ici.

Notons d'abord que le fonds d'archives de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés (conservé aux Archives nationales) contient un recopiage d'un texte plus ancien nous concernant directement : un diplôme royal daté du 16 août 884 et donné à Verberie par le roi Carloman II, en faveur de l'abbaye de la Croix-Saint-Ouen, appelée ensuite Saint Leufroy en l'honneur de son fondateur. Comme beaucoup d'archives des monastères ravagés ou des communautés monastiques ayant fui devant les normands, les titres originaux de cette abbaye fondée en 690 entre Gaillon, Pacy et Evreux se sont perdus.

Dans le document en question, à la demande de l'abbé Guillaume, Carloman II (867-884) confirmait de nombreuses donations faites par son grand père Charles le Chauve (823-877), son père Louis II le Bègue (846-879) et son frère Louis III ( 863-882) les moines n'ayant cessé durant ces règnes de demander des refuges contre la menace normande grandissante. Comme ces donations précédentes sont également perdues, il n'est pas possible de savoir lequel de ces souverains donna jadis des biens dans le Vexin ou dans l'Oise à l'abbaye de la Croix-Saint-Ouen. On peut imaginer que ce soit sous Charles le Chauve, car c'est lui qui, entre 858 et 862, leur avait déjà attribué un refuge dans l'Oise actuelle, la villa de Thiverny située en Beauvaisis, en face de Creil.

le denier du roi Carloman II

Au vu des tournures de phrases, les spécialistes ne mettent pas en cause l'authenticité de la copie. Autrement dit, ce n'est pas un "faux" destiné à réclamer des biens sans droit réel. Mais cette copie n'est pas datée sinon par l'écriture qui est celle du début du 16ème siècle. De plus le copiste devait être médiocre et de nombreuses erreurs grossières de transcription rendent parfois le texte inintelligible.

Quoi qu'il en soit, si Sérifontaine y est citée (on y reviendra dans un instant), c'est sous le nom à peine reconnaissable de villam que vocatur Celiafontana parmi les biens du Vexin (in pago Vulcassino) donnés à cette abbaye située dans ce qui n’est pas encore la Normandie mais la Neustrie menacée par les Normands.

La menace est bien réelle dans notre région. La première incursion normande dans la vallée de la Seine date de mai 841 (contre Rouen, puis contre Jumièges). Dès 845 Beauvais a dû payer une première rançon à des barbares normands. D’autres la brûlèrent cinq ans plus tard et en 859 son évêque fut massacré. La région conserve le souvenir des incursions vikings dans les toponymes tels que le Campadan, lieu dit de Bouchevilliers, indiquant la présence d'un camp aux danois sur les hauteurs surplombant l'Epte. En 862, ayant tant bien que mal réussi à contenir et repousser la "grande invasion" commencée en 856, Charles le Chauve promulga lors d'une assemblée tenue à Pîtres, au confluent de l'Andelle et de la Seine, un édit ordonnant aux Comtes et vassaux du roi de réparer les châteaux ou d'en bâtir de nouveaux. Sérifontaine vit sans doute alors l'érection de sa première forteresse qui n'était qu'une grande bâtisse de bois, de torchis et de silex, avec un pourtour aménagé de remparts et fossés.

De tels dispositifs formaient une assez maigre défense d’ensemble si l’on poursuit la chronique des désastres de Beauvais, occupée en 881 et 883, détruite 886. Plus près de chez nous, l'abbaye de Saint-Germer est pillée par les vikings en 910.

Enfin, le traité de Saint-Clair sur Epte est conclu en 911. Lors de ce « traité », dont il n’y a pas de trace directe, entre le fils de Carloman II, Charles III dit le Simple et les Normands de Rollon, le comté carolingien du Vexin est divisé en deux, à l’Ouest le «Vexin Normand », à l’est celui que l'on appellera bientôt le «Vexin français ». Il semble que la rivière de l'Andelle constituait à l’origine la limite dans notre région et que ce soit plutôt vers 946 que le fils de Charles le Simple, Louis IV dit d’Outre-mer et le troisième duc de Normandie, Richard Ier, aient décidé de repousser cette limite jusqu’à la rivière de l’Epte. Mais on ne refait pas le mythe ; la date de 911 reste la plus connue. Surtout depuis qu'au début du siècle dernier tout ce qui comptait en Normandie se fit un devoir d'en célébrer le millénaire. On revit Rollon dans les rues de Gisors.

Rollon à Gisors

Sur les bords mêmes de l'Epte, le Gisorcien Louis Passy accueillit en 1911 les officiels par un discours : en ces lieux mêmes il y a mille ans, la Neustrie ravagée et désolée allait enfanter la Normandie par les mains mêmes de ceux qui l'avaient dévastée. L'enfantement se fit en effet dans la douleur!

Le 14 mars 918, un diplôme de Charles III, conservé en original, attribue à l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés les biens de l'abbaye de la Croix-Saint-Ouen hormis ceux cédés aux Normands.

le document du 14 mars © Archives Nationales (France) \ Marc Paturange

C'est en réalité le seul témoignage de la réalité de la concession consentie à Rollon et aux Normands à Saint-Clair-sur-Epte.

De quoi s'agit-il alors? Les religieux de l'abbaye de la Croix-Saint-Ouen, ont abandonné leur monastère par peur des Normands et, après diverses pérégrinations, sont venus avec les reliques de Saint Leufroi demander asile à leurs confrères de Saint-Germain des Près. Mais il faut préciser qu'à la tête de cette prestigieuse abbaye parisienne se trouve alors comme abbé laïc Robert que l'on nomme souvent Robert Ier, duc de France, comte de Paris, de Poitiers et de Chartres, frère d'Eudes qui fut un temps roi de France, et grand père de ce Hugues que l'on nommera Capet.

En ces temps là, le sort hésitait entre les derniers des carolingiens, et les "robertiens" que l'on appellera plus tard "capétiens". Robert demande au roi carolingien Charles III la permission de réunir (sous son autorité) les deux communautés. C'est de cela qu'il s'agit dans l'acte du 14 mars 918.

le denier de Charles III

Ce premier document est complété, deux mois plus tard, par un second diplôme du même souverain, qui nous intéresse tout particulièrement car, plus explicite, il cite Siriafontana. Il est également donné à Compiègne, le 2ème jour des ides de mai car on date encore en calendrier romain, soit le 14 mai. Malheureusement les Archives nationales ne possèdent que deux copies postérieures (une du 12ème et une autre du 13ème siècle) de cet acte dont l'original est perdu.

Voici la copie du 12ème siècle, dont je remercie vivement les Archives Nationales ( notamment Mesdames Valérie de Wulf et Celine Gaudon et Monsieur Thierry Pin).

Ce texte énumérait les biens cédés à Robert de France autant et plus qu'à l'abbaye de Saint-Germain, en compensation de la perte que lui faisait éprouver l'attribution aux Normands des biens de saint Leufroy. Parmi les compensations, des biens situés en Parisis, en Pincerais, en Beauvaisis et dans le Vexin.

Le texte commence à la 6ème ligne de la deuxième colonne, et les mots et in pago vulcasino villam que vocatur Siriafontana se trouvent dans la troisième colonne, aux lignes 16 et 17.

la copie de Saint-Germain des Près

Tous les auteurs ont reconnu ici notre commune. S'ils ont raison, notons que nous sommes bien, depuis toujours et jusqu’au Préfet Nicolas Desforges qui vient de quitter l’Oise, dans le Vexin et non ailleurs. N’y revenons pas (les rois ne nous avaient pas davantage consultés à l'époque que le Préfet ne le fit en 2012) mais soulignons l'ancienneté de l'attachement de Sérifontaine à la famille capétienne, et son caractère toujours parisien plus que normand, en définitive. Si nous ne sommes pas normands, la faute en serait alors aux Vikings qui effrayèrent les moines de Saint Leufroy ! Trois siècles plus tard, parmi ses immenses domaines dans tout le quart Nord-Ouest de la France (et jusqu'à l'île de Guernesey) cette abbaye normande possédait des fiefs à Amécourt, Bazincourt et Saint-Denis-le-Ferment. Mais jamais plus elle ne réclama Sérifontaine. Sans doute parce que les titres lui faisaient défaut pour cela. Il est vraisemblable que les diplômes avaient été conservés à Saint-Germain !

les moines et l'écriture

Mais s'agit-il bien de notre Sérifontaine? A peine avais-je mis cet article en ligne que l'historien Bruno Lepeuple (Université de Caen), m'écrivait que dans les textes, la ville que j'identifie à Sérifontaine apparaît aux côtés d'une chapelle à Longuesse (capella de Longuessio villa), commune du Val d'Oise, dans le parc naturel du Vexin français. Et qu'encore aujourd'hui s'y trouve un toponyme Siréfontaine qui ne se rapporte il est vrai qu'à un bois, une côte et un ruisseau. Il est donc permis de croire que les transcriptions Celia fontana (884) et Siriafontana (918) ne correspondraient pas à Sérifontaine (60) mais à une localité ayant porté un nom similaire au sud de Longuesse.

Siréfontaine

Ma confusion est grande : Monsieur Lepeuple a sans doute raison, car le texte latin dit bien villam que vocatur Siriafontanam cum capella de Longuessio, villa, terris, pratis et decimis eidem ville et capelle adjacentibus ce qui laisse entendre que les deux vont bien ensemble.

Tout cela pour ça ? Oui et non : il faudra bien un jour entrer dans le vaste débat sur les origines du nom de Sérifontaine, et l'incertitude sur le document de 918 (une copie, concernant sans doute un autre toponyme) complique encore les données de ce chapitre à écrire.

Quant au cadeau du carolingien au capétien, que notre petite paroisse en ait fait partie ou non, scella-t-il une longue amitié ? Nenni : quatre ans plus tard Robert se mettait à la tête de quelques seigneurs mécontents et se soulevait contre le roi Charles, allant même jusqu'à se faire sacrer roi de France à sa place à Reims. Mais il perdit à Soissons, le dimanche 15 juin 923, tout à la fois la bataille et la vie. Charles le tua, dit-on, de sa propre main. Il eut tout de même sépulture à Saint-Denis.

la bataille de Soissons en 923 illustration extraite des "Grandes Chroniques de Saint-Denis", manuscrit conservé à la Bibliothèque de Toulouse.

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